La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 29 mars 2024

Un lit est un puits aussi bien comme en creusent les poèmes.

 


Jean-Pierre Siméon, poème sans titre, recueil Le Bois de hêtres, 1998.

 

 

Les amants sont des passants.

S’ils frappent à nos portes

ce n’est pas pour demander l’heure,

ni pour chercher asile.

Ils viennent comme un vent

donner signe de vie

et rompre le silence

qui durcit sur la table avec le pain.

Ni orgueil ni compassion.

Ils sont venus pour dire le beau temps qu’il fait

dans la douleur d’aller et de quitter toujours

et que les raisons de mourir

sont plus heureuses sur les routes.

Qui les salue à la fenêtre sait bien

de quelle nuit il s’absente

et lequel de ses rêves construit leurs pas.

Quand ils sont passés

restent dans nos chambres un remous de rivière

dont l’air tremble,

l’écho aussi de leur colère

qui cogne au tympan du sommeil.

Photo de forêt avec une mousse très épaisse au sol

Quelques jours d'interruption, à peine une petite semaine et à bientôt...



mardi 26 mars 2024

Plus j’aime la géologie, plus la géologie me prouve qu’elle n’aime pas Dieu.

 


Marion Montaigne, Nos mondes perdus, 2023, Dargaud.

Lettrage par Jean-François Rey.

 

Une histoire en BD de comment en est-on venu à inventer, imaginer, reconstituer ce qu’avaient été les dinosaures ?


Le point de départ est le film Jurassic Park et la fascination de l’autrice pour les films catastrophe mais vaguement scientifiques. Puis on remonte le temps. Depuis l’époque où on essaie de concilier les étranges dents géantes découvertes dans le sol avec la Bible à celle où on s’affranchit totalement du planning divin, avec les trouvailles de Mary Anning, etc. Mais surtout la façon de représenter les dinosaures : des gravures bien sages, des dessins où les animaux sont animés d’une vie féroce, des statues de ciment jusqu’aux films. Au fil des années, les dinos sont de plus en plus vivants, vifs, sociaux, mais aussi sauvages.


J’avais bien aimé Dans la combi de Thomas Pesquet, mais j’avoue être déçue par cet album : les pages où l’autrice raconte sa vie et tente d’expliquer son intérêt pour les dinosaures ne m’intéressent pas tellement. De plus, les gags relatifs à nos grands scientifiques, s’ils sont pertinents (parce que nos héros sont aussi souvent assez miteux), viennent interrompre le récit de façon un peu gratuite.

De façon générale, je trouve que l’album n’est pas structuré et manque de liant : on passe des molaires de mammouth aux reptiles fossiles, sans rien sur la constitution des fossiles. Les passages scientifiques manquent de suivi puisqu’on passe d’une espèce à l’autre ou d’un sujet à un autre. Ce sont des petits bouts de savoir, mais pas une histoire articulée.




C’est d’autant plus dommage que les pages d’explications scientifiques sont très réussies, claires et pédagogiques (la loi de subordination des organes, le bassin des reptiles, la pneumaticité squelettique des oiseaux, etc.). J’aime aussi l’intérêt de Montaigne, non pas tant pour les dinosaures en tant que tels, ou pour l’histoire de la discipline paléontologie, mais pour la représentation de ces êtres : comment on invente un animal à partir de trois os ? Comment on choisit de lui donner telle allure ou telle attitude ? Comment on projette sur lui une psychologie de serial killer ? Les scientifiques arrivent-ils à dialoguer avec les artistes ? Autant de questions passionnantes (la fabrique de nos mentalités), mais l’album me laisse sur ma faim.

 

Le billet de Je lis, Je blogue, nettement plus positif.


Montaigne sur le blog.

Dans la combi de Thomas Pesquet










 

samedi 23 mars 2024

Enseignement et miracles de Jésus

 



Série iconographie : la vie de Jésus.

La semaine dernière, notre héros expérimentait la solitude du désert. Cette semaine, entouré de ses amis, il est en ville et il fait des miracles !

 

La page Wikipedia « Miracles de Jésus » recense 37 miracles. Il ne semble pas y avoir un ordre chronologique et tous n’ont pas la même importance.  Ils ne sont pas tous très connus. Jésus est un guérisseur, mais il enseigne également. Je regroupe ici différents épisodes de guérison ou d'enseignement.

 


Cette peinture de Ludovico Caracci représente Jésus et la Cananéenne (1594 Brera).

Pour situer l'épisode, je cite L'Évangile de Matthieu, lui-même cité par Wikipedia :

« Jésus, étant parti de là, se retira dans le territoire de Tyr et de Sidon. Et voici, une femme cananéenne, qui venait de ces contrées, lui cria : Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David ! Ma fille est cruellement tourmentée par le démon. Il ne lui répondit pas un mot, et ses disciples s'approchèrent, et lui dirent avec insistance : Renvoie-la, car elle crie derrière nous. Il répondit : Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël. Mais elle vint se prosterner devant lui, disant : Seigneur, secours-moi ! Il répondit : Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants, et de le jeter aux petits chiens. Oui, Seigneur, dit-elle, mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Alors Jésus lui dit : Femme, ta foi est grande; qu'il te soit fait comme tu veux. Et, à l'heure même, sa fille fut guérie. »


Le texte met en avant la foi et l'humilité de la femme. On note aussi que Jésus prend soin de ceux qui sont habituellement rejetés - c'est la bienveillance.

La peinture est classique. Je pense que ce sont les couleurs qui m'ont attirée (rose, bleu, jaune, etc.), ainsi que les positions expressives (gestuelle, attitude) qui permettent de lire facilement l'image. Sans connaître le sujet, dont les détails importent peu, on voit bien que Jésus est imploré par une femme, qui s'humilie en s'agenouillant, alors même que les apôtres (que ce sont tous de vieux mecs) se moquent d'elle et la rejettent. Et puis, le visage et la coiffure de la femme sont très réussis.



Qu'il est sombre ! Cliquez sur l'image et agrandissez-la. Orazio Ferrari représente la Guérison de l'aveugle (17e siècle, Gênes Musei di Strada nuova).

L'épisode de la guérison d'un aveugle de naissance est bien connu (illustré notamment dans La Vie de Brian). Jésus se présente comme étant l'instrument de Dieu. Il est dommage que le tableau soit aussi assombri, car l'anatomie de l'aveugle et le surgissement des figures sur le fond sont très travaillés et réussis. Si l'aveugle est guéri, le spectateur voit une seule lumière, celle qui jaillit de la figure de Jésus.




Peinture de Jacques Jordaens représentant Jésus instruisant Nicodème (17e siècle, Musées royaux BA Bruxelles).

Nicodème est un disciple de Jésus, membre du Sanhédrin. Il intervient également au moment de la Descente de croix. Il fait partie des gens à qui Jésus enseigne et parle de l'Esprit saint et du baptême.

Le tableau de Jordaens est d'un très beau coloris. Regardez comme le manteau rouge de Jésus se reflète sur le visage de son interlocuteur (une belle façon de signifier la transmission de savoir et le dialogue). Entre les deux figures principales, deux têtes, une vieille et une jeune (Jean), qui écoutent et s'interrogent. Jésus est naturellement représenté plus grand et plus majestueux que Nicodème, qui est un peu empêtré dans ses riches vêtements. La toile vaut pour la représentation des mains : on argumente, on oppose, on souligne, on s'étonne, on cause.



Toile de Mattia Preti, Mère amenant son fils au Christ (1635 Brera). Elle illustre la parole : "Laissez venir à moi les enfants, car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent." Jésus se tourne vers deux enfants intimidés et bien vêtus, poussés en avant par leur mère. Les couleurs sont superbes. Une lumière orangée, chaude, enveloppe les figures et les sculpte.


Avez-vous remarqué ? Ces quatre toiles datent du 17e siècle (ou presque pour l'une). On est en pleine Contre-Réforme. Les églises catholiques passent des commandes à tour de bras et mettent en avant les hauts faits du Christ.



Changement d'époque avec cette toile de Gustave Moreau, Le Bon Samaritain (musée Moreau à Paris).
L'épisode ne correspond pas à un miracle, mais à une parabole (les fameuses paraboles de Jésus) à visée pédagogique. Un homme est attaqué et blessé par des bandits. Un prêtre et un lévite passent sans s'arrêter, pressés d'accomplir leurs obligations au Temple. Un Samaritain (juif lui aussi, mais pas orthodoxe, c'est pas des gens fréquentables) fait montre de compassion, s'arrête et prend soin de lui. "Tu aimeras ton prochain comme toi-même."
La page Wikipedia présente de nombreuses représentations, dont un vitrail de Chartres, une superbe peinture de Van Gogh (allez voir, elle est trop belle), une autre de Daumier.
Moreau est-il réellement intéressé par l'épisode évangélique ? Ce n'est pas sûr. Il semble être le prétexte à un incroyable jeu de couleurs, avec ce ciel rouge sur l'horizon désertique, et ces silhouettes sombres qui se détachent fortement, sans que l'on réussisse à les lire. La peinture représente la solitude de ces petits êtres humains, perdus sur la vaste plaine de la condition humaine.



J'en viens au miracle le plus célèbre : la guérison de Lazare.
L'histoire est connue : Lazare est un ami de Jésus, frère de Marthe et Marie, deux femmes qui ont la foi. Il est mort depuis quatre jours - il sent déjà - mais au son de "Lazare, sors !", voici qu'il se lève et marche.
Comme vous le savez, Lazare s'est ensuite rendu en Provence, qu'il a évangélisée, ainsi que Marseille. Il aurait aussi évangélisé Chypre, où se trouve d'ailleurs son tombeau.
L'épisode est gentiment rappelé dans Les Aventures miraculeuses de Pomponius Flacus de Mendoza.
La page Wikipedia montre la très belle peinture de Rubens (pour un mort, Lazare y est superbe).

Vous avez là une peinture sur bois de Jacquelin de Montluçon (1496 Lyon BA). La scène a été actualisée : alors que le corps de Lazare est censé avoir été déposé dans une grotte, ici le cercueil a été logiquement déposé dans un caveau, sous le sol d'une église gothique. Il a la mauvaise mine d'un homme plus très mort. À gauche, Jésus et ses disciples, et les deux soeurs agenouillées. Au premier plan, un prélat qui se bouche le nez (cette figure est rituelle et attendue : elle a une portée grotesque, mais souligne la véracité de la mort de Lazare). L'ensemble des figures est très calme, à l'exception de l'homme agenouillé près du ressuscité, qui a un geste d'étonnement.

Ce panneau constitue un morceau de retable peint par le Maître de l'Ascension de Berlin (1525, Berlin Gemaldegalerie). Ici on a seulement Lazare, au corps intact, sortant sur la pointe des pieds de son caveau, avec un geste tout à la fois d'étonnement et d'orant, dans une attitude un peu dansante et élégante. Bienvenue à toi, Lazare !

Ce sont des exploits impressionnants pour un nouveau prophète. 
Prochain billet dans deux semaines. Je vous donne rendez-vous au bord du lac.


jeudi 21 mars 2024

Le corps comme une outre molle qui grossit, enserrée de tous côtés par la terre et l’obscurité.

 


Antonio Moresco, La petite lumière, parution originale 2009, traduit de l’italien par Laurent Lombart, édité en France par Verdier.

 

Le narrateur vit seul, dans un hameau abandonné. Quand la nuit tombe, il aperçoit une petite lumière, au loin, à un endroit où il ne devrait y avoir personne. Il pose des questions à quelques personnes et puis un jour il se décide à y aller.


Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert donc je suis le seul habitant.

Le soleil vient tout juste de s’effacer derrière la ligne de crête. La lumière s’éteint. En ce moment, je suis assis à quelques mètres de ma petite maison, face à un abrupt végétal. Je regarde le monde sur le point d’être englouti par l’obscurité. Mon corps est immobile sur une chaine en fer dont les pieds s’enfoncent de plus en plus dans le sol, et pourtant, de temps en temps, j’ai le souffle coupé, comme si je chutais assis sur une balançoire aux cordes fixées en quelque endroit infiniment lointain de l’univers.


Ce court roman vaut surtout pour son atmosphère. Si on a lu quelques romans, on a des idées sur ce qui peut advenir. Mais l’atmosphère… Si le lecteur imagine au début un climat de fin du monde, il se rend compte quand même que le narrateur se rend en voiture une fois par semaine au village pour s’approvisionner. Là-bas, les gens regardent la télévision. Pourtant la région semble progressivement abandonnée. Lui-même vit dans un hameau abandonné. Les arbres poussent au milieu des maisons et le seul lieu éclairé est le cimetière. Plus loin, un autre hameau où vit un seul homme, mais qui a dressé des chiens pour attaquer tous ceux qui viendraient par là. Plus loin, les seuls qui continuent à cultiver les terres sont des réfugiés venus de loin. Surtout, le narrateur a une vision de la nature qui l’environne marquée par la mort et la lutte de chaque espèce contre les autres. Si une guêpe sort d’une figue, il n’y voit pas l’acte reproducteur qui permet à la vie de continuer en symbiose, mais des bêtes qui s’insinuent partout pour apporter mort et pourriture. Sa perception des hirondelles (qui semblent être des martinets) est de même, étrange, et presque pervertie par un sentiment de menace et de danger.

Je reconnais que c’est assez envoûtant.

Le roman raconte l’irruption de l’étrange malgré tout dans une existence qui semble réglée par le quotidien.

Van Gogh, L'Oliveraie, 1889 privé.


Le ciel est traversé par les dernières hirondelles qui volent, çà et là, comme des flèches. Elles passent en rase-mottes au-dessus de moi, s’abattant tête la première sur de vastes sphères d’insectes suspendus entre ciel et terre. Je sens le vent de leurs ailes sur mes tempes. Je vois distinctement devant moi le corps noir, plus caréné et plus grand, de quelque insecte englouti par une hirondelle qui le suivait le bec grand ouvert en lançant des cris. Le silence est tel que j’arrive même à entendre le craquement de son corps qui continue à souffrir, broyé et démembré, dans le corps de l’autre animal qui remonte grisé dans le ciel.

 


mardi 19 mars 2024

Et notre rôle, c’était de vivre pour rentrer chez nous.

 


Mario Rigoni Stern, Retour sur le Don, parution originale 1973, traduit de l’italien par Marie-Hélène Angelini, édité en France aux Belles Lettres.

 

Le premier texte raconte la bataille de Nikolaïevka, de janvier 1943, quand des chasseurs alpins italiens, sont décimés en quelques heures par l’armée russe, quelque part sur le Don. Les autres textes racontent l’interminable retraite italienne, à pied, pendant l’hiver 1942 et 1943, dans la neige, la longue marche vers l’ouest, en suivant les panneaux qui indiquent la bonne direction. La faim, le froid, la fatigue, les blessures, les copains morts, les paysans russes qui se terrent, avec une histoire qui pourrait être dans un roman de Balzac sur la retraite de Russie. Il y a aussi l’histoire des juifs parqués dans une ancienne scierie dans un village des montagnes italiennes, leur intégration dans le village, et puis leur fuite et leur disparition à l’arrivée des Allemands. Et l’histoire d’un garçon « de chez nous », parti rejoindre les partisans, dont on recherche le corps sur une falaise. Et le dernier texte prend place en 1973 : Rigoni est à la retraite et entreprend un long voyage sur le Don, pour retrouver les lieux où ses amis sont morts, et rappeler inlassablement leurs noms.


Nous nous sentions très désorientés, presque abandonnés après cette folle bataille, incroyable, d’où nous étions sortis vivants en si petit nombre. Nous parlions encore à voix basse entre nous ; tout, alentour, semblait vide, démesurément vaste. Non que nous ne voyions pas de villages, de fleuves ou de terres cultivées, mais trop de morts nous hantaient.


Je fus envoyé en reconnaissance avec mon escouade, mais il n’y avait vraiment rien à reconnaître : tout était pareil et, mis à part les perdrix grises qui s’envolaient bruyamment à notre approche circonspecte, nous ne vîmes aucun être vivant.


Petit point histoire : la Seconde guerre mondiale italienne n’a pas le même calendrier que la nôtre. L’Italie alliée à l’Allemagne combat la Russie, mais suite au débarquement Allié en Sicile, signe un armistice en 1943. L’Allemagne envahit alors l’Italie et l’armée italienne se scinde, entre soldats se battant aux côtés de l’Allemagne et soldats internés de force, sans parler des partisans.

Ceci étant dit, l’auteur ne se préoccupe pas de géopolitique ni des enjeux de la guerre. Il se situe au niveau des hommes, de ceux qui meurent, se traînent dans la neige, veulent rentrer à la maison, se cachent, ne disent rien, mais se débrouillent. Une histoire de soldats et d’êtres humains, de patates confiées à de pauvres hères. Sur ce plan, le volume est très proche du Lieutenant dans la neige. L’ajout de deux textes se plaçant en Italie, pendant la guerre, élargit le point de vue, rappelant la vie des villages.

Plus que tout, il est question des individus, simples et ordinaires. Ne pas les oublier, rappeler leurs noms, retrouver le lieu de leur mort, se rappeler d’eux vivants.


Bien des années se sont écoulées. Les souvenirs se perdent dans des terres lointaines ; les visages se confondent, s’estompent dans des tourmentes de neige, des camps de concentration, des pistes boueuses, ou entre des lueurs d’incendies, des explosions, des rafales. Tous avaient une manière d’être bien à eux : je la retrouve chaque fois que, pendant l’hiver de mes montagnes, je marche dans les bois en pensant à eux ; mais il y en a peu que j’arrive à me rappeler morts.


Ex-voto Notre-Dame-du-Peuple à Draguignan


Et puis il y a ce dernier texte, ce retour sur le Don. Que Rigoni ne fasse pas la différence entre l’Ukraine et la Russie, soit. On est en 1973. Le régime soviétique s’est assoupli, on laisse entrer les étrangers, mais évidemment personne ne va exprimer son « ukrainité » à ce moment-là. Je comprends aussi que l’auteur ne commente pas la surveillance subtile dont il fait l’objet. Je me demande si Rigoni voit vraiment le pays qu’il traverse durant d’interminables heures de voiture. Il est plongé dans ce passé presque oublié. Le paysage, les maisons, la ligne des collines, les gens, il semble uniquement voir la réalité de 1943. C’est assez perturbant et gênant, comme si rien ne l’intéressait, comme s’il n’était pas revenu de là-bas.

Et puis moi, je lis ça, deux ans jour pour jour après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les noms de lieu me sont malheureusement devenus familiers. Parce qu’en 1973, la chape du soviétisme faisait croire au calme revenu après la guerre, à l’apaisement des esprits après les combats, mais qu’il s’agissait d’une illusion.

  

Voilà, je suis rentré chez moi encore une fois, mais maintenant je sais que là-bas, l’espace entre le Donetz et le Don est devenu l’endroit le plus tranquille du monde. Il y règne une grande paix, un grand silence, une douceur infinie.

Ma fenêtre encadre des bois et des montagnes, mais très loin, au-delà des Alpes, des plaines, des grands fleuves, je vois toujours ces villages et ces plaines où dorment dans leur paix nos camarades qui ne sont pas revenus dans leurs foyers.

Et ça se finit comme ça.


Je comprends l’irrépressible besoin d’apaisement de l’ancien soldat, traumatisé par tout ce qu’il a vécu, mais on ne peut pas s’empêcher qu’il prend pour du calme ce qui n’est que l’immobilité de la glace.

 

Rigoni sur le blog :